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On se sent un peu honteux, en ces temps de guerre, de traiter les questions triviales qui agitent l’ESR français. Le seul avantage est de montrer combien est ridicule l’emphase permanente sur les « atteintes à la démocratie universitaire », les « menaces », la « destruction de l’université » etc. Gardons donc les pieds sur terre, un peu de décence aussi. Et si, un jour on regardait ailleurs, « à l’étranger », sur l’ESRI ? Retour donc sur une actualité récente qui souligne les errements du système français.

Commençons par ce rapport du Think Tank Terra Nova qui apporte une pierre de plus au consensus sur le sous-financement des universités. Son auteur Martin Andler estime que « le système ESR est au bord de la rupture, à cause de son sous-financement et de son organisation, mais aussi du point de vue moral (défiance généralisée, exaspération des acteurs face au sous-financement, ballottés par des réformes mal menées et par les difficultés supplémentaires liées à la crise du Covid). Ceci rend difficile toute évolution. »

Pour dépasser ce constat pessimiste, il faut selon lui un « effort budgétaire » qui « doit concerner tout particulièrement le financement des études universitaires » mais aussi « établir la confiance entre les acteurs de l’ESR ». Dénonçant l’absence de vision et de stratégie pour l’ESR, il estime qu’un « bouleversement structurel de l’ESR n’est pas souhaitable à court terme. Si l’objectif de mettre l’université au cœur de la politique d’enseignement supérieur est intéressant, cela doit être compris comme un aboutissement, résultant de la mise à niveau de leur financement et du développement de leur capacité stratégique. »

Ce n’est pas gagné, sachant que les budgets militaires vont avoir la priorité et que le renchérissement des prix de l’énergie va avoir des conséquences budgétaires énormes dans les universités 🤔.

Et l’auteur de plaider pour l’autonomie qui « reste en grande partie en trompe l’œil, ajoutant à la crispation, à la méfiance et au scepticisme de tous les acteurs. L’objectif de confier aux universités un rôle central dans la stratégie de recherche est limité par leur insuffisante autonomie, ainsi que par un système institutionnel de gouvernance inadéquat. »

De quelque côté que l’on se retourne, on retrouve en effet ce refus d’une véritable autonomie des universités … y compris par des président(e)s d’université. Ceci explique (voir infra) le délire bureaucratique qui continue son expansion. Au détriment, ne l’oublions pas, des étudiants.

Justement, et si on parlait un peu des étudiants ?

Il ne faut plus désormais parler de vie étudiante, mais d’expérience étudiante, ce qui a été le thème des JIPES 2022 (à revoir sur Canal U). La France académique découvre donc que l’étudiant, sa réussite dépend de plein de facteurs. On peut seulement espérer que ce ne soit pas, une nouvelle fois, un ‘ripolinage’ sémantique.

C’est pourquoi une autre information a retenu mon attention. Évidemment elle provient du diable ultra-libéral anglo-saxon : UUK (le France universités d’outre-manche) publie un nouveau cadre afin d’ »identifier et améliorer tout cours qui ne répond pas à l’éducation de haute qualité qu’elles visent à offrir aux étudiants ». Cela implique de prendre en compte « la satisfaction des étudiants à l’égard de l’enseignement, l’évaluation, les commentaires et le soutien scolaire, les taux d’emploi des diplômés, la contribution à la croissance économique et l’impact social et environnemental ».

Tiens, pas besoin du HCERES… En revanche, chez nous on a souvent besoin du Conseil d’État. Ce dernier, désavouant (une fois de plus ?) le Cneser disciplinaire, condamne un enseignant-chercheur d’AMU, qui n’avait pas fait de demande préalable pour un cumul d’activité. Il écope d’un an d’interdiction d’exercer toute fonction de recherche dans tout établissement public assorti de la privation de la moitié du traitement.

La raison ? Il s’était « abstenu de demander l’autorisation de cumuler son activité avec ses activités d’enseignement au sein de l’ESC de Rennes (189 463,15 € perçus pour la période 2011-2013) et de l’école Audencia de Nantes (193 856 € touchés pour la période 2009-2011), lesquelles se sont déroulées pendant plusieurs années, pour une quotité horaire conséquente, excédant d’ailleurs pour l’une celle d’un emploi à temps plein, et des rémunérations très élevées, alors même qu’il avait par le passé sollicité une autorisation de cumul pour une activité accessoire d’enseignement très ponctuelle ».

Ses étudiants d’AMU ont-ils pu au moins profiter, sinon de sa présence assidue, de sa science de l’entrepreneuriat 👏 ? Peut-être cet enseignant-chercheur a-t-il pu donner des idées aux MESRI sur la rémunération des enseignants-chercheurs 😂 ?

Et la gestion de la crise sanitaire ?

La Cour des comptes met les pieds dans le plat sur la gestion « décevante » de la crise sanitaire. Elle relève qu’« en l’absence de pilotage de la politique de vie étudiante, la crise a accentué la montée en puissance des établissements d’enseignement supérieur, qui ont notamment mobilisé les ressources issues de la CVEC (34 M€ entre la mi-mars 2020 et le 9 juillet 2021), ainsi que celle des collectivités territoriales ».

Tiens donc : les universités, dans des conditions peu favorables, auraient plutôt bien assumé ? Mais quand la Cour en tire la conclusion que « l’implication des universités en la matière a vocation à ne pas demeurer purement conjoncturelle mais à s’inscrire dans le temps », elle s’attire les foudres du Premier ministre et de la directrice du CNOUS : pas touche à l’organisation du système !

C’est cela la France 😒…

Ah Parcoursup !

Il y a les grandes déclamations sur Parcoursup. Pour ou contre. Et puis, il y a le rapport annuel du Comité éthique et scientifique de Parcoursup et ses 17 recommandations. Sauf à « dénazifier » ses auteurs, le rapport est plutôt réaliste, critique ET positif. Ses propositions se discutent évidemment mais elles sont au moins étayées. Elles ne confondent pas l’outil-thermomètre et les moyens d’accueil. Méritent-elles (et Parcoursup avec) l’invective, l’opprobre, le soupçon, l’ignorance, basés sur la méconnaissance mais plus souvent sur l’idéologie ?

Oh Toulouse !

Suivre le feuilleton de l’organisation du site toulousain, c’est au moins ne pas s’ennuyer ! Pour l’instant, il ressemble plus à « règlement de comptes à OK Corall » qu’à la chanson de Claude Nougaro. Je ne résiste pas cependant à en citer un extrait (le mieux est de l’écouter !).

« Ici, si tu cognes, tu gagnes
Ici, même les mémés aiment la castagne
Ô mon paîs, ô Toulouse
Un torrent de cailloux roule dans ton accent
Ta violence bouillonne jusque dans tes violettes
On se traite de con à peine qu’on se traite
Il y a de l’orage dans l’air et pourtant
L’église Saint-Sernin illumine le soir »

Alors quelle sera l’église Saint-Sernin qui illuminera les académiques toulousains ? Entre Toulouse 3 et son président mis en minorité par son CA pour son projet de création d’un EPE avec TSE et l’Isae-Supaero, intitulé TTU, Toulouse 1 et son CA opposé à presque toutes les composantes, et menacé par une scission (avec l’appui du MESRI) de la Toulouse School of Economics (TSE) de Jean Tirole, Toulouse 2 apparaît, c’est dire, comme un havre de paix.

Ce qui est intéressant dans cette saga, c’est qu’elle montre que l’État ne peut pas tout : même avec des milliards, les communautés académiques sont incapables de se mettre d’accord, de partager des projets. C’est dire la déliquescence du « vivre ensemble » dans certains quartiers universitaires ! Prompts à accuser l’État et le MESRI (et il y a de vraies raisons), les acteurs toulousains sont donc confrontés à leurs propres insuffisances, sous le regard atterré, parfois goguenard aussi, des collectivités, de la technostructure et des médias.

Innovation à la française : le choc des cultures

A l’occasion des auditions de la mission d’information sénatoriale « Excellence de la recherche-innovation, pénurie de champions industriels : cherchez l’erreur française », on a pu assister à ce choc des cultures qui fait (une fois de plus) de notre pays une exception.

Le président de France Universités Manuel Tunon de Lara et Alain Fuchs, président de PSL jugent que pour faire émerger les futurs « champions industriels », il faut « mettre le paquet sur la recherche » et qu’il faut notamment intégrer les SATT aux universités. On entendra avec plaisir A. Fuchs « dézinguer » l’idée que l’innovation se décrète et que la découverte scientifique se planifie.

Ils se sont attiré les critiques d’un monde qui ne connaît pas la recherche et au fond, méprise ou ignore les universités. Celle de Bruno Bonnell, nouveau secrétaire général pour l’investissement qui a « un problème avec ceux qui poussent pour la réintégration des Satt au sein des universités ». Ça promet avec ces dernières 😄… Ou encore celle de Laure Darcos, sénatrice LR de l’Essonne, affirmant que « c’est peut-être une caricature, mais on a toujours l’impression que les universités sont de grandes instances compliquées. » Il faut bien admettre à sa décharge que certains accréditent ces préjugés !

Pendant ce temps, à propos des dispositifs de soutien direct à la R&D et à l’innovation, la direction générale des entreprises de Bercy estime qu’autour du CIR et des différentes aides à l’innovation, il n’y pas d’effet d’aubaine, « les aides collaboratives se traduisent même clairement par un effet d’entraînement : pour chaque euro d’aide publique perçu, l’investissement total en RDI est accru de deux euros. » Les études faites en toute indépendance par des chercheurs concluent surtout que le CIR n’a pas eu les effets escomptés !

L’hydre bureaucratique

Il faut cependant reconnaître avec L. Darcos, que l’ESR c’est compliqué. Mais est-ce du fait des universités ou des pouvoirs publics ? Partout, dans mes rencontres ou échanges téléphoniques divers et variés, je n’entends que ça : l’hydre bureaucratique non seulement ne se calme pas mais repousse partout. Il y a bien sûr la polémique sur le référentiel d’évaluation des unités de recherche réalisée par le HCERES et ce qu’elle révèle de la faillite des SI partagés. Mais pas seulement.

Le déluge d’appels à projets (hors ANR) donne le tournis sans que quiconque, hormis les établissements, n’en mesure les effets délétères, avec des coûts de gestion interne de plus en plus importants.

C’est aussi la 2ème phase du fameux ‘Dialogue Stratégique de Gestion’ … pour 60 M€ pour 76 établissements en 2022. Toutes les responsables que j’interroge, consternés mais pas publiquement, constatent ou avouent que ça ne sert pas à grand-chose, vue la dépense d’énergie. Et pourtant ça continue.

Et comme si cela ne suffisait pas, l’avalanche de circulaires de la DGRH sur la mise en œuvre de la LPR achève de miner la confiance … et la crédibilité de l’administration centrale. Cela étant dit, il est drôle de constater qu’à propos du décret censé améliorer les carrières les chercheurs des EPST, c’est la FSU qui vote pour, UNSA-SNPTES-CFDT s’abstenant avec la CGT !

J’aime toujours, dans ces cas-là, m’imaginer un pays comparable avec ces sujets. Bien justement c’est inimaginable ! La France ce pays si attachant…

Nouvelle tendance dans le management des établissements ?

Après la nomination comme directeur général des services de l’université de Montpellier de Bruno Fabre, professeur en sciences de gestion, et vice-président du CA de l’UM depuis 2015, voici que Vincent Brunie fait, si je puis dire, le chemin inverse en étant nommé directeur de l’INSA de Rennes. Docteur en informatique, il a été directeur de la recherche, de l’innovation et des études doctorales de l’université Paris-Diderot puis DGS adjoint de l’université Paris-Est Créteil, en charge de la conduite du projet.

L’amorce de nouvelles façons de gouverner les établissements ? Un sujet à suivre en tout cas.

2 Responses to “Ma petite sélection commentée de l’actualité de l’ESRI”

  1. Bonjour Jean-Michel, merci pour ce tout d’horizon très illustratif et acerbe, et pour le clin d’œil 😉 Sur l’hydre bureaucratique, j’ai fait partie des quelques personnes ayant milité en mon temps – sans succès – pour que l’ANR prenne officiellement position contre la multiplication des appels à projets… en dehors de l’ANR, opérateur de politique publique créé spécifiquement à cette fin.

  2. Pourquoi tout simplement ne pas confier les AAP (décidées par une cellule interministérielle) aux organismes? Le faisions-nous pas il y a qqs années avec par exemple les GDR (groupement de recherches) ac l’avantage de permettre des coopérations en réseau (labos parisien + toulousain + nancéen + des entreprises) et d’éviter cette compétition au mauvais niveau entre universités ou qqs fois labos d’un même site? Oui réfléchissons aux missions des universités opérateur de recherche et des organismes (qui pourraient ne conserver en gestion directe que qqs labos propres et des grands équipements)? Arrêtons aussi la redondance de certains secteurs entre organismes (des partenariats créant une couche de plus essayent d’y remédier!). L’ANR pourrait être alors supprimer et ses redondances ac les organismes qui nous coûtent un certain prix.

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