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Si les classements internationaux, en particulier celui de Shanghai, ont contribué à donner de la visibilité à des universités françaises ignorées dans leur propre pays, l’image d’excellence reste globalement attribuée aux écoles pour la formation et aux organismes pour la recherche. Et si établissements et organismes faisaient (réellement) cause commune pour attirer les étudiants les plus motivés et à fort potentiel en faisant rimer université avec excellence ? Et si ensemble ils s’adressaient à l’opinion publique et aux familles pour dire : oui l’université c’est la qualité, l’exigence et l’excellence ? Sans étudiants, pas de recherche !

L’annulation du décret de création de l’EPE ‘Université de Paris’ … sur la requête d’une autre université, Paris-II, en dit long sur les maux (et mœurs) universitaires. Je ne m’appesantirai pas outre mesure sur cette lamentable « affaire » université de Paris vs université Paris-II Panthéon-Assas 1J’avais suivi ce dossier dès le début et rencontré à l’époque les protagonistes. La vérité oblige à dire que le président de Paris-II de l’époque, Guillaume Leyte, n’était pas seul à s’opposer au nom d’Université de Paris, ce qui aurait dû alerter le MESRI. : elle en dit autant sur les dysfonctionnements du MESRI (comment a-t-on pu ne pas pressentir ce qui allait se passer au Conseil d’État ?) que sur ces querelles picrocholines qui minent l’ESR français.

C’est d’ailleurs comme observateur non universitaire ce qui m’a toujours le plus frappé : l’incapacité de ce milieu à réellement penser international 2Les arguments comparatifs d’Udice sont percutants., sans doute à l’image des Français d’ailleurs. E. Durkheim le signalait déjà, c’est dire : peut-on simplement se mettre à la place d’un étudiant ou d’un scientifique étranger devant notre village gaulois ?

Cette “affaire” montre également, s’il en était besoin, que les universitaires, qui pestent sans cesse contre les Grandes écoles et contre les organismes de recherche, savent marquer des buts contre leur camp. C’est vrai dans ce cas, mais également à longueur de tribunes, pas seulement sur le ‘wokisme’. Ainsi, des centaines d’universitaires apportent leur soutien à 2 candidats à la présidence du CNRS … qui igorent quasiment les universités dans leur programme ! Toujours la même duplicité.

Mais revenons à la question des ‘marques universitaires’. Regardant récemment un documentaire scientifique, j’y découvrais le nouveau statut de maître de conférences…au CNRS ou de professeur à l’Institut Jacques Monod 🤔. Ainsi va la vulgarisation scientifique dans notre pays alors que dans le même documentaire, les scientifiques internationaux étaient eux cités comme professeur(e)s de leur université… Remarquez que l’on a droit désormais, à propos de la COVID-19, à des “professeurs à la Pitié-Salpêtrière”… Anecdotique ? Oui en partie. L’important n’est-il pas le contenu de la recherche ? Et tout compte fait, le CNRS ou les instituts ne sont-ils pas emblématiques de ce qu’est la science française ?

Une musique insidieuse

Mais non en réalité. Parce que dans le système français, les écoles sont censées incarner l’excellence en formation et les organismes de recherche (avec les CHU) l’excellence scientifique. Il ne s’agit pas du poids réel et/ou la qualité objective des uns et des autres en 2022 : non il s’agit de l’image, d’abord chez les élites, dans les médias et dans l’opinion publique.

C’est sans doute moins vrai en région mais nous vivons dans un pays où tous les leviers sont à Paris (médias, technostructures, sièges etc.). Quel que soit leur niveau de sélectivité ou bien la qualité de la recherche qui y est menée, ou encore les entreprises issues de leurs labos, l’excellence est attribuée et/ou capitalisée par d’« autres ». Il y a quelques exceptions qui confirment la règle comme Dauphine-PSL, mais dans des secteurs disciplinaires ‘mainstream’ (gestion, finance, sciences des organisations).

C’est ainsi que se diffuse en permanence une petite musique insidieuse, qui a envahi les esprits, notamment médiatiques : l’université n’est pas le lieu de l’excellence, scientifique ou autre. Comment symboliquement s’identifier à un établissement qui ne peut incarner ces vertus même s’il les possède ? C’est pourquoi en France, cette notion d’appartenance est plus stratégique qu’ailleurs : dans tous les pays comparables, cette question ne se pose pas. Sans évoquer Harvard ou le MIT, l’UW à Madison mais aussi Heidelberg, la TüM ou encore Bristol et Exeter sont des marques attractives.

L’attribution symbolique de l’excellence

De fait, en France, les signaux symboliques font que les talents étudiants, qu’ils soient français ou étrangers, ne sont pas prioritairement attirés puis formés dans ces lieux où se mêlent enseignants de haut niveau, croisement des disciplines, recherche et innovation. Ce que dans le monde entier on appelle universités 😃. Chez nous, on préfère les grandes envolées sur la vulgarisation, la remise de médailles de médiation scientifique, qui servent à masquer le désintérêt d’une partie de la communauté scientifique pour l’enseignement.

Au tarissement du vivier pour le doctorat s’ajoute la difficulté pour les universités, même si cela change, à attirer et garder les meilleurs profils. Faut-il rappeler que l’on ne s’inscrit pas en première année, et même en doctorat, au CNRS mais bien en école ou à l’université ? En 2022, l’attribution aux seuls organismes de recherche de l’excellence en recherche est de plus en plus un affaiblissement majeur de la capacité d’attraction des universités auprès des meilleurs profils et les plus motivés. Les universités ont évidemment leur responsabilité, peu attirées et outillées pour la communication, encore moins pour faire du marketing et du lobbying.

Vous me direz, en quoi est-ce réellement gênant, puisque l’essentiel est qu’il y ait de l’excellence ? Parce que ce “prestige” scientifique des organismes, 3Même si la crise sanitaire a mis à mal ces affirmations d’excellence face à la compétition mondiale… n’est pas mis à profit pour attirer les meilleurs éléments à l’université. Sans même évoquer le refus, voire la peur d’enseigner de milliers de chercheurs/euses, la communication d’une partie des organismes conforte les stéréotypes négatifs sur l’université au lieu d’encourager ses points forts.

Jouer collectif

Quand à longueur de communication, le CNRS affirme qu’il est la pépite de la science française, que telle ou telle découverte est faite par un labo CNRS-université (idem pour l’INSERM ou le CHU dans la recherche médicale) etc., le message subliminal envoyé aux familles et aux jeunes étudiants est que l’excellence, c’est d’abord le CNRS. Alors même que tout se fait à l’université ! C’est pour cette raison que la démarche de l’INRIA (dont ce n’est évidemment pas la première des motivations) de s’appeler ‘centre INRIA de l’université X ou Y’ est essentielle. L’excellence symbolique y est partagée avec l’université, sans nuire à l’image de l’INRIA.

F. Vidal a imposé (avec retard et à grand peine) la primauté de l’affiliation universitaire dans la signature des publications, mais la guerre picrocholine des territoires se poursuit de plus belle. Jamais le CNRS (ses fils twitter sont édifiants) ne citera, dans sa communication omniprésente, les universités sur un pied d’égalité comme pour les Labcom, mais toujours comme des partenaires certes importants, mais des partenaires d’un des « premiers organismes de recherche mondiaux »… Pour être juste, sa communication quasi “impérialiste 😀 ” englobe aussi celle des autres organismes dans sa stratégie habituelle d’affirmation de ‘leader’ de la recherche française !

Choix assumé, mais est-ce l’intérêt de la recherche française ? Le service public de l’ESR est-il la propriété des institutions qui le constituent ou de la stratégie du pays ? Personne ne semble s’en émouvoir, ni le MESRI ni les déclarations de candidatures des 2 opposants à A. Petit qui ignorent quasiment les universités. Un phénomène culturel 😃.

Rendre la marque ‘Université’ désirable

Les universités peinent donc à lutter, assaillies sur un flanc par ces écoles, sur l’autre par les organismes de recherche, et au milieu par leurs propres personnels. De plus, l’épisode Comue les a durablement fragilisées en termes de communication et de visibilité. Or, les universités, et notre pays, doivent réussir à attirer les meilleurs étudiants, dès la première année, pas seulement en master.

Elles ont besoin que les organismes de recherche jouent franchement le jeu pour en faire des lieux d’enseignement et de recherche “haut de gamme”. Ne doivent-ils pas mettre à la disposition des universités la puissance de leur marque pour le bien commun ? Car le déclin scientifique français, avéré, ressort tout autant des questions de financement et d’organisation, que des questions de lien entre formation et recherche.

Donc j’ai eu une petite idée pour la paix des ménages. Et si universités et organismes s’adressaient désormais ensemble, et de façon régulière, aux familles et étudiants ? Souscrire en commun, par exemple, des encarts publicitaires dans les pages étudiantes du Figaro, de Challenges, d’Aujourd’hui en France, de l’Express, du Monde etc. et bien sûr de la presse dédiée (L’Étudiant etc.) que monopolisent les écoles de commerce (pour les meilleures mais aussi pour les pires…) marquerait une rupture 4Des gens mal intentionnés estiment même que la bonne presse des écoles serait dûe à ces encarts. Je n’arrive pas y croire 😂!.

Universités et organismes de recherche auraient l’occasion de montrer que l’excellence, notamment au niveau master, c’est le lien entre formation et recherche. Car lorsque Sylvie Retailleau, présidente de l’université Paris Saclay, évoque, certes prudemment, l’effet positif ‘Shanghai’ sur le recrutement des meilleurs étudiants de maths, toutes les parties prenantes devraient réfléchir. Les efforts collectifs des opérateurs de service public ne doivent-ils pas être d’appuyer les universités pour attirer ces profils ? Cette stratégie gagnant-gagnant suppose un partage symbolique et la fin des querelles de territoires. La recherche est le bien commun, mais les étudiants aussi.

Références

Références
1 J’avais suivi ce dossier dès le début et rencontré à l’époque les protagonistes. La vérité oblige à dire que le président de Paris-II de l’époque, Guillaume Leyte, n’était pas seul à s’opposer au nom d’Université de Paris, ce qui aurait dû alerter le MESRI.
2 Les arguments comparatifs d’Udice sont percutants.
3 Même si la crise sanitaire a mis à mal ces affirmations d’excellence face à la compétition mondiale…
4 Des gens mal intentionnés estiment même que la bonne presse des écoles serait dûe à ces encarts. Je n’arrive pas y croire 😂!

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