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Quand successivement la Cour des comptes et le Conseil d’analyse économique placent (et chiffrent !) le réinvestissement dans les universités comme une priorité pour le pays, cela veut dire qu’il se passe quelque chose. Mettre le « pied dans la porte » suppose désormais de ne pas relâcher l’effort pour une remise à niveau structurelle, notamment face à la dérive des appels à projet. Injecter des financements est la condition nécessaire pour soigner une partie de ses maladies. Alors que l’atonie électorale des opposants à toute évolution est patente, le monde universitaire doit aussi se vacciner contre ses propres faiblesses. Au bénéfice de ses étudiants.

Les universités et plus généralement le monde scientifique se plaignent régulièrement, et à juste titre, d’être globalement ignorés par les pouvoirs publics. Et vlan ! Après la Cour des comptes, le Conseil d’analyse économique réclament un réinvestissement de l’État. Oui mais pas n’importe où, dans ces universités si critiquées voire méprisées. Car comme l’a rappelé le président du CAE Philippe Martin, l’enseignement supérieur, c’est un investissement.

Une bonne nouvelle politique

Le Conseil d’analyse économique (CAE) invite donc dans cette note 1Rédigée par deux universitaires, Gabrielle Fack (PSE) et Élise Huillery (Paris-Dauphine, à repenser l’investissement dans le supérieur en augmentant les moyens en L et M. Ce qu’elle montre, c’est le rapport étroit entre réussite et investissement… A propos des taux d’échec à l’université, elle pointe une corrélation nette entre réussite, niveau d’insertion professionnelle et investissement dans une filière, au travers en particulier des taux d’encadrement 2On regrettera, mais c’est un classique chez les universitaires, l’oubli complet des personnels administratifs et de soutien…. Et l’écart de financement est de 1 à 4 entre licences et CPGE, ce que les chiffres macro de la dépense par étudiant (10 110€ à l’université, 14 270€ pour les STS et 15 710€ pour les CPGE) ne reflètent pas.

Les recommandations du CAE (augmenter les moyens en licence et en master, revaloriser les bourses et ouvrir 150 000 places 3L’idée de cibler « les postes et moyens supplémentaires vers les filières qui présentent le rendement relatif le plus élevé, à savoir les filières scientifiques et techniques » fera débat ! dans l’enseignement supérieur) représenteraient un coût budgétaire annuel compris entre 5,4 et 7,6 Md€. Et les 2 scénarios de refinancement de l’enseignement supérieur et des universités sont de + 0,2 ou + 0,3 points de PIB afin de mettre la France au niveau de ses partenaires européens.

Les auteures de la note soulignent que dans ce contexte, le montant de « 1,7 milliard d’euros prévus dans la LPR à l’horizon 2030 aura certes le mérite de rendre la profession des enseignants chercheurs plus attractive en début de carrière mais il ne permettra pas de renforcer les taux d’encadrement des étudiants dans les filières les moins bien dotées ». CQFD : la LPR a été comme je l’ai écrit dès le départ une erreur politique en dissociant recherche et enseignement supérieur, à l’inverse de tous les pays comparables.

L’annonce par le gouvernement de la création de 8 nouveaux sites universitaires de formation odontologiques (Amiens, Caen/Rouen, Dijon/Besançon, Grenoble, Poitiers et Tours), après la programmation de l’augmentation des postes au numerus clausus est évidemment une bonne nouvelle. On peut donc souhaiter que le stupide malthusiannisme qui a régné depuis 1971 soit remplacé par une réelle politique prospective.

Pour cela aussi, il faudra également des moyens 4Le CAE n’aborde pas le financement des études de santé et du coût de l’universitarisation. : on espère que ce ne sera pas appels à projets 😀 ! Alors, le principe de réalité finira-t-il par s’imposer ? Oui à condition d’une rupture réelle.

La dérive des appels à projet

Car j’ai déjà écrit tout le mal de ce que je pensais de ces appels d’offre « institutionnels » permanents, et sur des thèmes qui interrogent. Avec une question que de plus en plus de monde se pose « en haut lieu » : peut-on transformer l’enseignement supérieur par des appels à projet sans d’abord le remettre à niveau ? L’amélioration de la pédagogie, y compris numérique, de l’encadrement etc. relève-t-elle d’appels à projets compétitifs ou de ce qui doit être offert de base aux étudiant(e)s ?

Alors que la note du CAE y répond de façon tranchée, la dérive continue, s’amplifie : tout est appel à projet. Et les annonces gouvernementales pour des dizaines, voire centaines, de millions d’€ ne peuvent faire illusion : il s’agit de programmation pluriannuelle. Les 15 projets retenus dans celui intitulé « Excellences » pour 292 M€ seront financés sur 6 à 10 ans 🤔… Calculez !

Comble du cauchemar bureaucratique, on fait même des appels à projet pour répondre mieux à des appels à projets 5« Accélération des stratégies de développement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche”, avec 200 M€  sur plusieurs années pour “aider les établissements d’ESR à accroître leurs ressources” et constituer ou professionnaliser leurs équipes d’appui pour le montage de projets, prioritairement sur la FTLV et/ou les projets européens., afin donc de professionnaliser les équipes. Mais les universités qui sont en difficulté ne pourront pas évidemment présenter un projet “de qualité” puisque justement elles n’ont pas le personnel pour 😫…

Quant aux Pôles universitaires d’innovation ( 9,5 M€ pour expérimenter les PUI) on se perd en conjectures sur les objectifs. Un nouveau « truc » dans l’ESR mais les 5 établissements pilotes auraient tort de ne pas « prendre l’oseille »…

Résultats électoraux : peser ou s’opposer ?

Malgré ces cauchemars bureaucratiques, tout se passe comme si les personnels se rassuraient lors des élections en votant globalement pour des listes qui entendent « peser », pas s’opposer.

Les 4 derniers résultats, sur des EPE à Lille, Nantes et Montpellier ou une université fusionnée (Bordeaux) relativisent ainsi, au-delà du bruit médiatique, le poids des oppositions, avec cependant un vote contre significatif chez les MdC à Nantes et Lille. Dans tous les cas, les listes syndicales « classiquement opposantes » sont très minoritaires, tandis que la participation même inégale aux élections (hors étudiants) reste supérieure à tout ce qui se fait dans l’ESR.

Il faut souligner les résultats du « pôle » réformiste chez les Biatss 6A Nantes, chez les Biatts, 645 voix contre 343 pour la liste « syndicale/opposante », à Montpellier,  950 voix contre 250 pour la liste ‘syndicale/opposante’, même tendance à Bordeaux avec 1031 voix pour une liste asyndicale + la liste SNPTES contre 401 à la CGT. qui prend nettement le dessus si l’on agrège Sgen-CFDT, Unsa et SNPTES (avant leur ‘réunification’), même si à Lille c’est moins lisible (avec beaucoup de listes), comme la fusion d’ailleurs !

Et dans les organismes ? Au CA du CNRS, si la participation remonte à près de 33 % (30 % aux scrutins de 2013 et 2017), elle reste néanmoins inférieure de plus de 10 points aux taux de 44-45 % qui prévalaient dans la première moitié des années 2000. Et surtout très inférieure aux élections universitaires. Si le « pôle » réformiste (Sgen, Unsa, Snptes) n’y fait que 43%, à l’inverse de la tendance dans les universités ou à l’Inserm, cela explique-t-il la politique pas très ouverte sur les universités de la direction du CNRS 😀 ?

Et côté Inserm, lors des élections des représentants des personnels au CS (conseil scientifique) et aux CSS (commissions scientifiques spécialisées), ce sont les élus ‘indépendants’ qui sont dominants chez les DR, les professeurs, CR et maîtres de conférences. Au total, sur les 128 élus à ces deux élections, 74 seraient non syndiqués, soit près de 58 % !

J’avais trouvé pertinente cette formule du blog Gaïa Universitas, à propos de celles et ceux qui sont toujours contre ou critiquent, quoiqu’il arrive,  l’augmentation des contrats doctoraux ou le ticket de restau U à 1€ : les « nonistes ». Or, les derniers résultats électoraux aux CA d’établissements publics expérimentaux si décriés par ces mêmes « nonistes » ou encore à l’Inserm et au CNRS confirment ce que j’avais écrit à propos de la mobilisation anti-LPR : elle n’a pas pesé sur les résultats aux CA d’université, tandis que le pouvoir réel se déplace des EPST ou organisations nationales comme le CNU ou le CoNRS vers le terrain et la proximité que représentent les universités.

En conclusion

Est-ce à dire que les personnels sont satisfaits et en extase devant leurs dirigeant(e)s au niveau local 😊? Qu’ils/elles plébisicitent les EPE, les fusions etc. ? C’est peu probable évidemment mais chacun peut comprendre que les personnels savent qu’il ne suffit pas de dire « non »…

Alors même que de puissants et potentiels alliés au sein même de l’État émergent, les universités, leurs équipes, leurs communautés sauront-elles faire des propositions audacieuses, avoir des comportements positifs pour convaincre l’opinion publique et les décideurs 😃 🤔 ? Ou bien la « haine de soi » à longueur de tribunes prendra-t-elle le dessus ? Ou bien se réjouir et agir ?

Ce consensus virtuel sur le nécessaire refinancement des universités voit le jour au moment où les personnels montrent qu’ils peuvent accepter des évolutions, malgré l’épuisement lié à une politique publique illisible et faiblement ou mal incarnée. Et puis, ne l’oublions pas, derrière l’argent et les personnels, il y a les étudiants : là aussi il faudra leur proposer autre chose pour (re) faire de l’université le lieu de toutes les ambitions. Oui, il existe la possibilité de réformes raisonnées et raisonnables, pour des étudiants et des familles dont la préoccupation est avant tout la qualité des études et l’insertion professionnelle.

Références

Références
1 Rédigée par deux universitaires, Gabrielle Fack (PSE) et Élise Huillery (Paris-Dauphine
2 On regrettera, mais c’est un classique chez les universitaires, l’oubli complet des personnels administratifs et de soutien…
3 L’idée de cibler « les postes et moyens supplémentaires vers les filières qui présentent le rendement relatif le plus élevé, à savoir les filières scientifiques et techniques » fera débat !
4 Le CAE n’aborde pas le financement des études de santé et du coût de l’universitarisation.
5 « Accélération des stratégies de développement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche”, avec 200 M€  sur plusieurs années pour “aider les établissements d’ESR à accroître leurs ressources” et constituer ou professionnaliser leurs équipes d’appui pour le montage de projets, prioritairement sur la FTLV et/ou les projets européens.
6 A Nantes, chez les Biatts, 645 voix contre 343 pour la liste « syndicale/opposante », à Montpellier,  950 voix contre 250 pour la liste ‘syndicale/opposante’, même tendance à Bordeaux avec 1031 voix pour une liste asyndicale + la liste SNPTES contre 401 à la CGT.

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