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L’actualité récente est marquée par des chiffres qui traduisent une accélération du déclin de la recherche française, la création d’une nouvelle université de technologie, sans bilan de l’existant, des contre-budgets LR et PS surprenants, la poursuite de la cacophonie des évaluations entre HCERES et Cour des comptes, un emballement médiatique autour des logements étudiants et les JO et puis, une « pépite » de la gauche ‘caviar’ à propos du lycée autogéré de Paris.

Je ne résiste pas tout d’abord au plaisir de vous conseiller de lire ce billet de François Lenglet sur le site de RTL qui évoque la « démence administrative ». Il faut dire qu’un pays capable (enfin ses pouvoirs publics et technocrates) de concevoir un bonus étatique de réparation des vêtements, cela permet de replacer les tracas bureaucratiques de l’ESR dans son contexte 😉! Cependant, on rit moins avec ce qui suit…

ERC : la France dépassée par les Pays-Bas…

En effet, la France poursuit son déclassement recherche… La liste des 308 lauréats et lauréates de l’appel ERC Consolidator 2023 1Ces bourses, pour un montant total de 627 M€, récompensent des porteurs et porteuses de projets européens ayant obtenu leur doctorat 7 à 12 ans auparavant. Elles sont dotées de 2 M€ pour 5 ans. place désormais notre pays en 3ème place avec 23 projets, talonnée par l’Espagne, et derrière l’Allemagne (66 lauréats) et les Pays-Bas (36 lauréats).

Denis Wirtz (@deniswirtz), VP Recherche de l’université américaine JohnsHopkins, a rapproché le ratio des ERC obtenus par chaque pays relativement au % R&D de leur PIB. Sa conclusion ? L’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne sont à égalité. Les Pays-Bas, le Danemark, l’Autriche, Israël et la Belgique surperforment. La France, l’Italie, la Norvège et la Pologne sous-performent.

Les raisons financières peuvent-elle tout expliquer, sachant qu’en France le déficit vient surtout de la recherche privée et que là il est question de récolter des fonds ? On avance souvent l’argument que le taux de succès des français est excellent mais qu’ils ne postulent pas assez aux ERC.
Certes, mais cela n’est-il pas justement un signe fort de déclassement d’un partie du milieu, quelles qu’en soient les raisons ? Outre un système éducatif en crise, la gestion et l’organisation inadaptées du système, le prurit bureaucratique, la manque d’agilité mais aussi une psychologie trop souvent collective marquée par le manque d’ambition, voire un repli sur l’hexagone, sont des faiblesses qu’il serait temps de prendre à bras-le-corps.

Universités de technnologie : y a-t-il une réflexion stratégique nationale ?

Fin mai 2023, les conseils de l’Eni de Tarbes (ENIT), de l’IUT de Tarbes et de l’université Toulouse-III avaient chacun adopté le projet de décret portant création d’une université de technologie à Tarbes qui va voir le jour au 1er janvier 2024. Ce sera une université de 2 700 étudiants, avec l’espoir d’en avoir 1 000 de plus. Je n’ai absolument pas d’opinion sur l’opportunité de cette création mais on peut au moins s’interroger, comme je l’avais fait à propos d’une tribune du sénateur P. Ouzoulias.

Qu’en est-il de la réalité des 3 universités de technologie existantes ? Ont-elles répondu aux espoirs mis en elles, notamment aux besoins pour lesquelles elles ont été créées ? Le côté pionnier et innovant de l’UT Compiègne s’est étiolé, avec en plus sa gouvernance instable, tandis que l’UT de Troyes (lire le rapport HCERES) et l’UT Belfort-Montbéliard (lire le rapport HCERES) n’ont pas réussi à développer les formations d’ingénieurs au niveau des besoins du pays, encore moins en ce qui concerne les docteurs ingénieurs.

Leurs parcours est semé de projets de rapprochements divers marqués par des échecs (rapprochement de l’UTC avec Sorbonne Université, projet d’une UT du Grand Est etc.). Si l »UTBM est désormais engagée dans la construction d’un EPE 2avec l’université de Franche-Comté, Supmicrotech-ENSMM, l’Institut Agro Dijon, l’Ensam à Cluny et l’EFS, leur isolement, leur faible taille critique, avant tout en recherche et donc à l’international, freinent leur développement.

Si j’en crois leurs sites web (sur lesquels symboliquement le doctorat est à peine visible), ces 3 UT regroupent à peine 10 000 étudiants…et 565 doctorants. Sans parler du MIT, on est loin de  la TUM (Technische Universität München) et ses 56 000 étudiants et 3 000 doctorants,  du Politecnico di Torino et ses 38 700 étudiants et 1 300 doctorants ou encore de l’EPFL, 13 000 étudiants et 2 400 doctorants… Et ces dernières ont un spectre de formation beaucoup plus large.

Plus près de nous, en termes d’effectifs, on est aussi très loin des universités nouvelles créées par L. Jospin et C. Allègre, qui ont su, à l’exception d’Evry, prendre leur envol. Ainsi, Cergy Paris Université (CYU) intègre quasiment autant d’étudiants en filières sélectives que ces UT, avec en plus 600 doctorants…

Au fond, cela pose surtout une question : les pouvoirs publics ont-ils une stratégie en ce domaine ? Qui s’interroge sur la lisibilité et l’efficience des formations d’ingénieurs entre UT, INSA, INP, Ecoles centrales, ENI et Polytech (j’en oublie peut-être !) et celles sous tutelle d’autres ministères ? Peut-être un jour une réflexion stratégique ?

Cacophonie en matière d’évaluation

Si l’évaluation du CNRS par le HCERES fait du bruit (pour une fois, pas de circonvolutions diplomatiques), la cacophonie perdure en matière d’évaluation dans l’ESR. Ainsi, la Cour des comptes vient d’évaluer l’université de Montpellier à partir des exercices 2017. De son côté, c’est son métier, le Hceres l’avait évaluée en 2021, théoriquement à partir du précédent rapport de 2016. Sans même comparer les deux évaluations, n’y aurait-il pas matière à remise en ordre 😉 ? D’autant que l’on me glisse dans l’oreillette que le CNRS sera également et prochainement évalué par la Cour des comptes 😒…

Pourtant, dans son domaine financier, les sujets transversaux pour la Cour des comptes ne manquent pas. Dans un article très intéressant publié dans la Revue du Droit public (abonnés), Olivier Beaud suggère de regarder d’un peu plus près les données autour de la question du cumul d’activités, pas seulement dans les facultés de droit. J’ai également des suggestions : par exemple, le fonctionnement du MESR ou encore la simplification.

Contre budget LR et PS : des positions surprenantes…

Les partis politiques de gouvernement s’intéressent-ils à l’ESR dans leurs contre-budgets ? En 2021, le montant du crédit d’impôt recherche s’élève à 7,25 Md€ selon les données provisoires du MESR, une dérive financière incroyable et incontrôlable. Et là je me suis pincé : le contre-budget présenté par LR à l’Assemblée nationale prévoit, pour réduire les dépenses publiques, de s’attaquer au CIR ! Pourquoi ? Car il « constitue désormais la plus importante dépense fiscale à l’échelle de notre pays ». Les Républicains proposent « de recentrer cette dépense fiscale sur les activités industrielles et les petites et moyennes entreprises (PME) » . L’objectif ? Un gain de 2Mds€ mais que LR ne propose évidemment pas de réattribuer à l’ESR !

Mais je me suis pincé une deuxième fois en lisant le contre-budget du PS 3Même si ce dernier précise qu’ « il ne représente pas la totalité de ce que nous ferions si nous étions en responsabilité, ni l’intégralité des amendements que nous avons déposés. » . Une seule proposition dans ses priorités porte sur l’ESR, à propos de la « mise en œuvre de la loi de programmation pour l’enseignement supérieur et la recherche (sic) » 4 Le PS ne semble pas au courant qu’il s’agit d’une loi de programmation de la recherche, pas de l’enseignement supérieur, ce qui est révélateur…. Le PS était contre la LPR mais avait réécrit en 2020 « la trajectoire (…) avec comme boussole un effort de recherche publique à 1% du PIB en 2027. » Il avait proposé « 1,3 milliard € de plus en 2024 par rapport à 2023. Dans ce PLF 2024, le Gouvernement inscrit 500 millions d’€. Il manque donc 800 millions d’€ pour atteindre notre trajectoire. » Quelle ambition ! Rien sur les universités, pas de proposition alternative à Parcoursup qu’il propose de supprimer, et rien sur le CIR. Toujours aussi indigent…

JO et emballement médiatique

L’annonce que les 2 200 étudiants, dont les logements Crous seront réquisitionnés durant les JO, recevront une aide de 100 € et des billets pour les épreuves olympiques, a provoqué un tollé. Je donne RV au moment des JO : on verra si les prévisions apocalyptiques (dans ce domaine) se réalisent.

Car le réseau des CROUS a démenti, mais sans être véritablement repris, certaines informations fausses, réseaux sociaux obligent. Il indique qu' »il ne sera jamais question de priver un étudiant de logement pendant les Jeux Olympiques de Paris 2024. » Et précise que les étudiants « qui pourraient être amenés à changer provisoirement de logement afin d’assurer la sérénité du fonctionnement des résidences universitaires pendant la période des Jeux bénéficieront d’un relogement à proximité sans surcoût et d’une prise en charge des coûts de déplacement. »

Le même emballement a eu lieu concernant la CIUP qui a dû se fendre d’un communiqué précisant que 50 % des chambres seront mises à disposition pour les JOP 2024, sans « aucune sortie contrainte d’étudiants ».  Elle assure d’ailleurs avoir sanctuarisé 50 % de ses capacités d’accueil pour les exilés ukrainiens, les universités partenaires, les chercheurs présents toute l’année et les résidents qui demanderaient une prolongation de leur séjour, « les contrats de location n’étant signés que du 1er septembre au 30 juin, comme chaque année. »

Enfin, peut-être peut-on retenir ce qui est un classique de ce genre de manifestation :  à l’issue des JOP 2024, 1 667 logements issus des villages olympique et des médias seront convertis en logements étudiants.

Quand les « puritains de la gauche » pratiquent ce qu’ils dénoncent…

Ce sont les ravages de l’ « ultralibéralisme » 😉. Dans une tribune à Libération du 23 novembre, des « personnalités de gauche », Etienne Balibar, Annie Ernaux, Nancy Huston ou encore Catherine Corsini, avec l’inénarrable et inévitable Ph. Meirieu prônent la dérégulation du secteur éducatif pour préserver « le seul lycée autogéré de Paris » et qui « doit le rester ». Ce gloubi-boulga est un festival d’arguments conçus pour les rejetons de bonne famille : c’est l’école alsacienne version de « gauche ». Que proposent-ils entre autres ? « La cooptation des professeurs : le recrutement sur les 3 académies l’Île-de-France par cooptation permet d’intégrer des professeurs qui portent le projet et y adhèrent pleinement. »

C’est curieux : avec les syndicats, ces Che Guevara de la pétition dénonçaient J-M Blanquer, Pap N’Diaye et maintenant G. Attal (et leurs prédécesseurs, y compris N. Vallaud-Belkacem) sur les risques de l »autonomie des établissements…  Rappelons au passage que Ph. Meirieu, qui écume les tribunes, était le compagnon de route de C. Allègre, et portait à l’époque justement les projets qu’il dénonce avec ses nouveaux compagnons. Un peu comme Agathe Cagé et le projet de Monique Canto-Sperber de formation supérieure privée…

On dénonce d’un côté ce qui serait de « l’ultra-libéralisme », de l’autre on le pratique assidûment : ce sont nos nouveaux puritains !


A propos des inégalités

L’équipe Data d’AEF a fait un travail remarquable (abonnés) qui confirme le bilan que j’avais réalisé à propos des inégalités en matière de SCSP. Selon ses calculs, elle « s’élève à 6 720 € en 2022, en baisse de 2,3 % par rapport à 2016. » Comme je l’avais souligné, la création des EPE, rend la comparaison difficile.

De même, Emmanuelle Picard Professeure d’histoire contemporaine, spécialiste de l’enseignement supérieur et de la recherche (ENS de Lyon) et Vincent Carpentier(Reader in History of Education, UCL) vont dans le même sens, dans un article dans The Conversation synthétisant leur étude sur une comparaison France-UK autour de « la détérioration du ratio entre personnel enseignant et étudiants ». Ils en concluent que « le recours à l’emploi précaire s’impose comme la principale variable d’ajustement, contribuant fortement à la segmentation de la profession. »

Références

Références
1 Ces bourses, pour un montant total de 627 M€, récompensent des porteurs et porteuses de projets européens ayant obtenu leur doctorat 7 à 12 ans auparavant. Elles sont dotées de 2 M€ pour 5 ans.
2 avec l’université de Franche-Comté, Supmicrotech-ENSMM, l’Institut Agro Dijon, l’Ensam à Cluny et l’EFS
3 Même si ce dernier précise qu’ « il ne représente pas la totalité de ce que nous ferions si nous étions en responsabilité, ni l’intégralité des amendements que nous avons déposés. »
4 Le PS ne semble pas au courant qu’il s’agit d’une loi de programmation de la recherche, pas de l’enseignement supérieur, ce qui est révélateur…

2 Responses to “Humeurs d’automne sur l’enseignement supérieur et la recherche”

  1. Tes « humeurs d’automne » sont un tel feu d’artifices qu’on ne sait plus sur quoi réagir… Sur la délicieuse affaire du lycée autogéré de Paris ? Sur la Cour des comptes et le Hcéres qui se marchent sur les pieds ? Sur les contre-budgets de l’opposition ? On a le choix. Cependant je limiterai ma réaction à la question des universités de technologie (UT).
    Il est indéniable qu’il manque une réflexion nationale sur le sujet, fondée à la fois sur une évaluation des performances constatées, mais aussi sur une vision stratégique de ce que à quoi l’instrument « université de technologie » pourrait servir dans une perspective nouvelle.
    Bien sûr la création d’une UT à Tarbes relève d’une conjoncture locale du type de celles que tu as évoquées à propos de la tribune du sénateur Pierre Ouzoulias. Mais elle comporte une innovation majeure : pour la première fois, un IUT faisant partie d’une université « classique » est transféré dans un établissement (« une UT ») dont la vocation est de former des ingénieurs. Il est donc possible d’avoir un IUT dans autre chose qu’une université. Le seul point de comparaison à ma connaissance, mais qui n’est pas de même nature institutionnelle et qui n’existe plus depuis 2021, était la faculté qui avait été donnée au CNAM de délivrer le DUT. Cette « innovation » en tous les cas donne à réfléchir…
    Au-delà, je pense qu’il ne serait pas sans intérêt de créer des universités de technologie new look. De telles UT pourraient rassembler non seulement des formations d’ingénieurs, mais également des formations au management et d’autres formations professionnelles de haut niveau en architecture, en arts et design, dans le domaine de la santé, des agro-ressources etc… Cela permettrait de regrouper des écoles diverses, publiques comme privées, d’atteindre des tailles critiques souhaitables, de développer des formes de pluridisciplinarité nouvelles tournées vers un enrichissement des exercices professionnels et de développer une gamme de formations tant au niveau bachelor qu’au niveau master. On pourrait ainsi atteindre une meilleure lisibilité de notre dispositif avec une appellation compréhensible directement à l’international et qui mettrait de l’ordre dans une confusion franco-française entretenue par les réseaux : INSA, Écoles centrales, INP et assimilés et réseaux d’écoles professionnelles diverses….
    Cela permettrait aussi peut-être de faire progresser certains sites dans la « panade » depuis une bonne quinzaine d’années. On peut penser bien sûr ici tout particulièrement à Lyon et Toulouse. Puisque la recomposition du paysage universitaire patine sur ces deux sites et qu’on ne voit pas comment on pourrait bien en sortir, il apparaît très dommageable de ne pas valoriser leur formidable potentiel de formation de cadres techniques, dans de nouvelles universités de technologie « interministérielles » fortement structurées et tournées vers les compétences du futur et vers l’attractivité internationale. Et peut-être aussi qu’une telle initiative réveillerait un peu les universités…
    Enfin avec la formule du grand établissement ou de l’ « établissement public expérimental – EPE », de nouvelles formes de gouvernance plus réactives et plus stratégiques pourraient facilement être mises en œuvre. Ce qui ne gâche rien…

  2. J’hésitais à réagir à ce post, en lien avec le sujet des UT, qui me préoccupe depuis pas mal d’années, mais maintenant que Koro est intervenu, je n’hésite plus 😉
    Je me retrouve dans ce qu’il écrit et n’insisterai que sur le point de la multi et surtout inter – disciplinarité. Il s’agit là d’une question d’importance majeure à mes yeux, alors que l’innovation et les progrès ne se réduisent pas à une vision linéaire en flux poussé par la « science ». A une époque où nous faisons face à nombre de questions épineuses, notamment parce que systémiques, la confrontation d’une culture disciplinaire avec d’autres constitue un ingrédient indispensable pour fournir aux jeunes des outils pour appréhender les questions qu’ils auront à traiter.
    De ce point de vue, ouvrir vraiment les UT – ou tout autre vocable du même acabit – au-delà des sciences dures et de l’ingénierie à des disciplines pouvant paraître éloignées, comme les arts, la sociologie, l’urbanisme, les sciences politiques, me semble constituer une piste qu’il serait pertinent d’explorer.
    Je n’aborde pas ici à nouveau la question des formations professionnalisantes courtes, évoquées par Koro à propos de UT Tarbes, qui semble désintéresser tout le monde ! On semble considérer qu’on a traité la question avec les BUT. Or, comme me le rappelait dans un contexte tout différent un de mes maîtres à propos de la classification des formes quadratiques, je pense qu’on l’a à peine effleuré !

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