« La prévision est difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » disait le regretté Pierre Dacq. Je préfère donc regarder l’année 2022, avec du recul face aux événements et à la pression du court terme pour retenir des lignes de force. Ce que nous dit 2022, que la ministre a prise en route au niveau budgétaire, c’est qu’il n’y a toujours pas d’infléchissement significatif, ni financier, ni stratégique, sinon un ton, une méthode et une volonté différents. Examinons pourquoi 2023 sera l’année de tous les dangers pour S. Retailleau, une année de plein exercice.
Année électorale oblige, je m’étais permis de suggérer au président réélu de prendre 4 mesures fortes : planifier la fin des inégalités de financement, transformer les conditions d’études des étudiants des universités, libérer le secteur du centralisme et enfin mettre de l’ordre dans les appels à projet. C’est dans ce cadre que j’avais analysé les 5 ans de F. Vidal à la tête du MESRI avec des clés de compréhension à la fois historiques, psychologiques, managériales, et bien sûr politiques.
On ne peut pas dire en tout cas que le secteur, comme tant d’autres, manque de rapports et études : j’en avais recensé 91 sur l’ESRI en 2021… soit 1 rapport publié tous les 4 jours ! La dérive recentralisatrice du MESRI a accentué logiquement ce ‘prurit’ bureaucratique, avec des processus kafkaïens que rien ne semble arrêter. C’est pourquoi, avant la nomination de S. Retailleau, j’avais soulevé cette question basique : Quel ministère pour l’ESRI ? Celui de la simplification !
Faire de l’ESR un enjeu stratégique : une responsabilité partagée
A ce premier défi, la nouvelle ministre doit en relever un second, celui de peser dans la société française. Comment en effet faire de l’ESR un enjeu stratégique comme dans la plupart des pays comparables ? Comment avoir un poids politique à la mesure de ce qui est quand même le 3ème budget de l’État ?
Un sondage Odoxa-Backbone Consulting du 22 décembre 2022 pour le Figaro indique que seuls six ministres sont identifiés par les Français, tandis qu’à la question« vous connaissez bien ce ministre et vous saviez quel ministère il/elle occupait », ils sont 12% à répondre oui, « vous avez déjà entendu parler de ce ministre mais vous ne saviez pas quel ministère il/elle occupait », ils sont 31% 1Avec le risque d’une confusion avec son homonyme LR Bruno Retailleau. tandis que 57% n’ont jamais entendu parler d’elle. Cela traduit à la fois le faible poids médiatique de l’ESR au milieu de 41 ministres (!!!) et aussi la faible ancienneté de Sylvie Retailleau 2Il faut noter que S. Retailleau fait de meilleurs scores de notoriété que des ministres plus anciennement connus..
Peser relève évidemment de la responsabilité de la ministre mais aussi voire autant des communautés académiques et des chefs d’établissements. On peut en effet souligner l’incroyable déconnexion d’une partie des communautés académiques des préoccupations de l’opinion publique : je l’ai illustré à propos de la sélection mais aussi sur les droits d‘inscription…
Car pendant ce temps, l’enseignement supérieur privé ne cesse de progresser tandis que la recherche française, après l’absence de vaccin, risque de devenir celle d’un « petit pays » si l’on en croit la comparaison avec les Pays-Bas.
Même si un “refinancement” et un alignement de leur dépense par étudiant sur les CPGE sont essentiels, les universités doivent convaincre et combattre la défiance. Cela suppose une nécessaire transparence, nouvel impératif catégorique des établissements.
Il est intéressant dans ce contexte de revenir sur un sujet rebattu, à savoir la gouvernance des universités qui suscite des critiques multiformes et contradictoires. Là encore et comme souvent, il faut prendre garde aux visions mythifiées et/ou polémiques, qui prennent le pas sur la réalité. D’autant que cette gouvernance est incarnée par des femmes et des hommes critiqués mais incontournables. Mais peu audibles dans la société française, hypnotisés par leur relation avec le MESR et/ou les organismes, ils/elles peinent à sortir de débats internes abscons, à l’image en fait de leurs communautés, et sous-estiment leur poids réel dans les débats publics.
Un financement insuffisant mais aussi mal calibré
Or la question du financement doit être posée de façon plus nuancée. C’est le cas par exemple à propos des aides sociales : on met la ‘précarité’ à toutes les sauces, avec une vision misérabiliste des étudiants qui nuit gravement aux étudiants les plus fragiles. Le résultat, c’est le maintien d’un coûteux système de saupoudrage des aides qui pénalise … les plus en difficulté. Doit-on trouver normal que es jeunes et les familles les plus aisées reçoivent en moyenne 1,5 fois plus d’aide publique que les jeunes les moins aisés ?
On rencontre le même manque de courage à propos de la « gratuité » supposée des études. Je me suis donc penché sur les droits d’inscription pour les nuls : un débat, qui comme le vaccin, part en vrille quel que soit le niveau d’études des polémistes ! Alors même que le Conseil constitutionnel a “bordé” la question.
Autre sujet qui accapare les esprits, le temps et l’énergie, c’est la conception qui prédomine désormais dans le financement de l’ESR : les appels à projet. Jusqu’à l’absurde comme en témoigne cette information passée curieusement inaperçue (la fin d’année ?), information factuellement et symboliquement dérangeante : la suspension du versement des crédits du plan de relance prévus pour les universités pour la création de places. Pourquoi ? En raison d’un audit en cours, conduit par la Commission européenne afin de mesurer les créations effectives de places…
La dérive des appels à projets
Ceci nous dit tout sur la conception française de la place de l’enseignement supérieur et de la recherche, spécialement des universités : non seulement la dépense par étudiant ne cesse de baisser, mais l’accueil de jeunes dans le supérieur devrait ressortir d’appels à projet (en l’occurrence européens) et pas d’un socle de base.
L’ESR continue donc de décrocher, pas seulement à cause des coûts de l’énergie. Ceci soulève de plus en plus la question des relations MESR-SGPI et du plan France 2030 : Ministère de l’ESR ou SGPI il va falloir choisir en effet ! La France peut-elle se payer le luxe d’avoir un ministère de l’ordinaire à 28 Md€ et un ministère de l’extraordinaire à 20 Md€, le SGPI ?
Et puis, comme souvent dans notre pays, la mise en œuvre est catastrophique, même pour les bonnes idées… Interrogé par AEF info sur le lancement du plan France 2030 et du PEPR quantique qui en découle, certes le prix Nobel Alain Aspect s’en félicite. Mais il explique ce qu’il a dit à E. Macron lors du lancement de ce plan : « il faut que l’argent du PEPR soit rapidement déployé. Mais 18 mois plus tard, cela semble être à peine le cas alors que nos collègues allemands ont reçu leur financement en six mois… Il faudrait savoir aller plus vite quand on lance un plan de cette ampleur. »
Une conception erronée de la recherche
L’inculture scientifique des élites françaises est une réalité mais n’explique pas tout. On pourra cependant déguster l’intervention tonitruante de l’ancien Haut commissaire à l’énergie atomique Yves Bréchet à propos du rejet du nucléaire, devant une commission de l’Assemblée nationale 3Mais Angela Merkel, pourtant docteure en Chimie, a justifié l’abandon du nucléaire par des raisons politiques..
Cependant l’illustration la plus accablante du décrochage de la France sur la place de la recherche se trouve dans un discours du Conseiller à la sécurité de Joe Biden. Il existe entre les États-Unis et la France 2 façons de penser la place de la recherche. Les priorités américaines devraient faire réfléchir face au capharnaüm technocratique de France 2030 que l’on pourrait repabtiser France micro management. Oui, il est indéniable que l’argent coule à flots. Mais coule-t-il là où il faut et au rythme où il faut ? Faut-il tout prévoir ou faire confiance ?
Si les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité évidemment, les acteurs institutionnels de l’ESR, universités, écoles et organismes, qui veulent moins de top down sont aussi face à leurs responsabilités : que font-ils pour faire émerger une autre façon de faire ?
2023 : l’année de tous les dangers pour S. Retailleau
Il faut en tout cas faire crédit à l’ancienne présidente de l’université Paris-Saclay de sa volonté : elle s’est attaquée résolument à la simplification de la LPR, avec des résultats encore contrastés, parfois difficilement audibles pour des personnels englués dans le scepticisme permanent. Il est vrai qu’il est difficile sur ce sujet de changer le cap d’un paquebot lancé. Elle a visiblement obtenu des arbitrages budgétaires pas évidents, y compris sur la programmation pourtant actée de la LPR, mais comme tous ses prédécesseurs, « en défense ».
De ce point de vue, la revalorisation annoncée ET tenue des contrats doctoraux fixés pour tous à 2 044 euros brut au 1er janvier 2023 est une très bonne nouvelle. Quant au Ripec, les réelles revalorisations sont ternies (et la perception compte sur ce sujet) par des processus délirants, mettant à rude épreuve tous les niveaux des établissements…. Bien sûr, la mise en place des contrats d’objectifs, de moyens et de performance (COMP) est importante, bien sûr la montée en puissance d’une évaluation plus simple, plus lisible et mieux ciblée l’est aussi. Enfin, la clarification annoncée des relations universités-organismes, avec en bonus une simplification rêvée, l’est tout autant.
Elle pourrait convaincre ses opposants à la marge, notamment si de véritables simplifications sont opérées. Mais saura-t-elle mobiliser ses soutiens, sans reproduire les erreurs de F. Vidal, et surtout saura-t-elle recréer de la confiance ?
Parcoursup pourrait être une première épreuve du feu tant l’opinion publique y est attentive. De ce point de vue, on peine à comprendre le silence assourdissant de France Universités et du MESR sur l’enquête de la DGCCRF sur « les manquements » voire les fraudes d’une partie de l’enseignement privé supérieur. A force de se plaindre de Bercy, c’est justement Bercy qui pointe de vrais problèmes…
Et pendant ce temps, le budget de la justice va croître de manière assez importante (et sans appel à projets 😉) soit pour la 3ème année consécutive de 8 % ce qui représente une croissance de… 40 % depuis 2017, selon Actu-juridique. Sans parler du secteur de la santé qui bénéfice de moyens supplémentaires importants et est surtout confronté à un problème de ressources humaines.
Or, pour le moment le PLF 2023 ne marque pas d’infléchissement significatif. Pire, la crise énergétique qui met à nu la faiblesse des marges de manœuvre des universités, va accentuer leur décrochage. La ministre réussira-t-elle à obtenir des arbitrages favorables après une année 2022 où beaucoup de dés étaient jetés avant sa nomination ? Réussira-t-elle à infléchir la politique ESR dans notre pays, tant du côté de son organisation interne que de l’intérêt que porte à ce secteur le gouvernement ?
C’est pourquoi, si elle me lit, je lui souhaite une très belle année 😀 ! Et évidemment à toutes mes lectrices et à tous mes lecteurs.
Références
↑1 | Avec le risque d’une confusion avec son homonyme LR Bruno Retailleau. |
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↑2 | Il faut noter que S. Retailleau fait de meilleurs scores de notoriété que des ministres plus anciennement connus. |
↑3 | Mais Angela Merkel, pourtant docteure en Chimie, a justifié l’abandon du nucléaire par des raisons politiques. |
Tous mes voeux à tous.
Pour sourire qd tu écris « Quel ministère pour l’ESRI ? Celui de la simplification ! » rappelons-nous qu’un des titulaires du poste a été aussi ministre de la simplification: l’ami Thierry Mandon! Pour avoir souvent discuté avec lui la machine est lourde à réformer et nous tous les ex ou tjrs praticiens du domaine nous n’aidons pas tjrs!
Par exemple qd les GE accepteront-elles de reconnaître leurs moyens bien supérieur à leurs collègues des composantes universitaires? Qd on voit qu’ils se battent pour garder leur PMJ on peut en douter car l’objectif est bien là de conserver pr eux seuls ts les avantages!
Sinon revue très complète manque-t-il peut être le sujet du financement croissant à travers des fondations et des appels à dons de tt ordre. La recherche sur la santé doit-elle dépendre de dons ds un pays comme le nôtre? Imaginons-nous l’armée ou la police dépendre de dons?