J’ai créé ce blog en 2018 : 7 ans après, je vous propose mon bilan de cette période, ma façon de vous présenter mes meilleurs vœux pour 2025 ! Au-delà du sous-financement chronique de l’ESR, j’ai retenu 6 thèmes qui à mon sens résument les défis : le fonctionnement inchangé du MESR, concurrencé à la fois par le SGPI et les organismes de recherche, la montée en puissance entravée des universités, ce que nous dit Parcoursup de l’évolution de la société, les inégalités face à un misérabilisme qui légitime le saupoudrage des aides sociales, une loi recherche dont l’application est désormais plébiscitée mais qui bute toujours sur un système fragmenté, et enfin une politique d’innovation mal ciblée et en échec, malgré les milliards déversés. A vous de juger et par là-même, peut-être de faire vous aussi un retour un peu introspectif sur ces années. Enfin, je rends hommage à deux personnalités qui viennent de nous quitter, Claude Allègre et Alain Fuchs.
Résumer ces 7 années de blog et aller à l’essentiel m’ont guidé dans la sélection des thèmes : car, au fond, que reste-t-il au-delà de l’écume des choses et des polémiques ? Depuis 7 ans, tout a changé et à la fois rien n’a changé.
Un MESR et une politique publique en cours de fossilisation
C’est le symbole des ces dernières années : MESR et MEN demandent aux opérateurs et services déconcentrés de relever des défis qu’ils sont eux mêmes incapables de relever à l’image, notamment, d’une politique publique caricaturale sur la formation des enseignants. Ce ne sont pourtant pas les rapports qui manquent : j’avais pointé pour 2021 91 rapports et études sur l’ESRI !
Si le MEN a battu tous les records d’instabilité (et pas seulement de ministres) liés à un système hyper centralisé, les pouvoirs publics ont fait des appels à projet l’alpha et l’omega de leur stratégie dans l’ESR, déclenchant une course effrénée aux financements, qui eut été acceptable et gérable si l’essentiel avait été préservé. Mais malgré tout, l’ESR a connu une forme de stabilité assurée par des opérateurs ayant une relative autonomie face aux injonctions ministérielles contradictoires.
Car le MESR, malgré tous les discours et toutes les promesses, reste incapable de se concentrer sur la stratégie, à l’image de l’échec de la politique contractuelle, y compris sous son nouveau vernis, les COMP. Il est coincé à la fois entre le SGPI (Ministère de l’ESR ou SGPI il va falloir choisir) et le CNRS, les 2 véritables ministères de la recherche. Pire, il demeure englué dans un micromanagement d’un autre siècle. Si la bureaucratie n’est pas propre au MESR, celui-ci a par exemple apporté sa pierre avec la demande kafkaïenne que les universités remontent (et sous format papier !) tous les entretiens de leurs ITRF…
Au fond, le MESR et l’Etat en général n’ont jamais, contrairement aux analyses en vogue, parié sur l’autonomie des universités. Le symbole en a été la création de recteurs/rectrices délégués à l’enseignement supérieur (Recteurs délégués ESRI : un malaise général révélateur), sujet que j’ai abordé plusieurs fois, avec un ministère incapable dans le même temps de supprimer ses « conseillers d’établissements ». Une couche de plus dans le millefeuille (La mission impossible des recteurs délégués à l’ESRI)…
Les bilans accablants de l’IGESR et de la Cour des comptes (Que nous apprend le fiasco annoncé des recteurs/rices dans l’ESR ?) n’ont eu aucun effet, tandis que l’évaluation et le Hceres restent des chantiers inaboutis, à l’image du feuilleton interminable et récurrent de la nomination d’un ou d’une présidente. Cet échec suit et accompagne l’échec de la politique contractuelle, quelles que soient ses variantes.
Sur le plan de la recherche et de l’innovation, tout se passe comme si il fallait qu’un sujet émerge ailleurs, en particulier aux Etats-Unis pour qu’il devienne à la mode avec un culte du plan, obsolète au moment où il sort… Et puis, sorties de nulle part, des thématiques comme l’hydrogène vert deviennent le nec plus ultra, au grand dam des spécialistes de l’académie des sciences… Il faut dire que, quels que soient les gouvernements, quels que soient les médias, quels que soient les partis politiques, le budget de l’ESR, 3ème budget de l’Etat, est la dernière roue du carosse. De fait, on a enfin trouvé une majorité : mais contre la recherche scientifique…
Universités : une montée en puissance entravée
Mais enfin me direz-vous, les responsables d’établissement se sont-ils opposé à cette politique centralisatrice et désordonnée ? René Rémond notait dès les années 70 post loi E. Faure que façonnés par l’habitus jacobin, les partisans de l’autonomie prônent souvent des mesures qui vont à l’encontre de leurs idées… Le MESR est très souvent leur boussole, les pouvoirs publics ayant la fâcheuse habitude d’annoncer en permanence des plans et des priorités … Être vu par le MESR, avoir son interview chez AEF ou Newstank reste le Graal…
Car l’on croit que les marges de manœuvre sont rue Descartes, tant que ne bouge pas le modèle d’allocation des moyens. Leur modèle de fonctionnement est orienté vers la tutelle et en singe les travers, comme l’illustre l’absence de transparence sur l’évolution de leurs effectifs et de leurs moyens, un consensus d’opacité largement validé par les différentes communautés universitaires qui y trouvent leur intérêt. Ou encore dans leur difficile gestion de la relation avec les composantes pointée par l’Igesr.
Pourtant, en novembre 2019, je soulignais un mouvement fondamental qui n’a fait que s’amplifier : la participation et les résultats des diverses élections (CNU, Cneser, Conseil scientifique du CNRS, CAPN et CTU/CTMESR), témoignent d’un déplacement des centres de décisions vers l’échelon de proximité. Avec la stratégie de l’établissement, ils sont devenus le centre de la légitimité … et donc politiquement plus forts : on l’a vu sur les frais d’inscription des étudiants extra-communautaires.
A l’occasion du projet d’ordonnance sur les regroupements (les fameux EPE), je suis revenu sur cette obsession française, non pas de la collégialité, mais de la “Démocratie universitaire” (1): un débat peut en cacher d’autres, “Démocratie universitaire” (2) : quelle place pour l’administration ? et enfin “Démocratie universitaire” (3) : le centre de décision et la périphérie.
En 2022, j’ai continué d’aborder la question de la gouvernance des universités en prenant garde de ne pas céder aux visions mythifiées et/ou polémiques, qui prennent le pas sur la réalité. Mais comment traiter cette question sans s’intéresser à ces présidentes et présidents d’universités critiqués mais incontournables mais surtout des influenceurs qui s’ignorent ? Ils/elles peinent cependant à être audibles, peu conscients de leur force collective, comme en témoigne d’ailleurs leur récente campagne (justifiée) « universités en danger », lancée trop tard et à contre-temps, en plein feuilleton gouvernemental.
A leur décharge, curieusement, on enjoint en permanence aux universités de se réformer mais jamais aux CPGE, aux STS et aux organismes de recherche. Ce que pointe un rapport ‘disruptif’ de la Cour des comptes sur les ‘vaches sacrées’ de l’ESR. Car concernant les organismes de recherche : le statu quo est-il tenable ? Pourtant c’est “Circulez, il n’y a rien à voir.” Il n’en reste pas moins que comparées à de nombreuses collectivités locales ou autres opérateurs publics, les universités n’ont pas globalement à rougir de leur gestion, qui a fait des progrès considérables.
Parcoursup : le révélateur de l’évolution de la société
La procédure a ancré dans les faits ce que l’opinion publique avait depuis longtemps acté : l’inscription dans l’ESR, si elle est de droit, n’est plus automatique. Dès 2018 je posais une question : les polémiques sans fin sur Parcoursup n’occultent-elles pas le véritable débat : problème d’algorithme ou d’inflation du nombre de formations ? Et j’analysais le fait que désormais, quoiqu’on en pense, Parcoursup remplace le bac, ce qui est un changement majeur.
Vision idéalisée ? Non car dès l’origine il me semblait que l’angle mort de Parcoursup était celui de l’absence de véritables services d’admission. Mais les forces et faiblesses de Parcoursup, bien identifiés par le CESP, justifiaient-elles d’en faire un autre linky, objet de tous les fantasmes et toutes les désinformations ?
D’autant que l’on passe à côté de 2 réalités marquantes : la reprise d’études supérieures est une tendance forte tandis que face à la sélection à l’université, les jeunes et les familles répondent oui ! L’opinion publique a tranché et les familles ont voté avec leurs pieds. Plus de 55% des effectifs universitaires sont déjà inscrits dans des filières officiellement et légalement sélectives… Et dans tout l’ESR, le sélectif est désormais le choix majeur des familles et des jeunes !
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais souligné la tendance observée depuis des années de la croissance du secteur non universitaire de l’ESR, en particulier du privé. Et je m’étonnais que des universitaires découvrent subitement cette tendance, une preuve de plus de leur déconnexion de la population.
Inégalités sociales : cibler ou saupoudrer ?
Notre pays est friand des grandes envolées sur la réduction des inégalités sociales. Médias et responsables politiques ne s’y intéressent le plus souvent qu’au travers de deux prismes : l’accès aux grandes écoles, soit quelques milliers d’étudiants ou bien un misérabilisme crasse.
Car depuis des années, voire des décennies, tous les gouvernements ont privilégié, avec l’aide des syndicats étudiants et des médias, les ‘classes moyennes’, surtout supérieures. Et la revendication d’une allocation d’études universelle est en réalité une ‘machine’ à aggraver les inégalités. Alors que Parcoursup fait de la discrimination positive sur les quotas de boursiers, pourquoi ne pas aller vers une “affirmative action” budgétaire selon la composition sociale des effectifs de chaque établissement ? Cela bousculerait le statu quo actuel. Pour promouvoir une nouvelle démocratisation, il faudrait pour les bourses étudiantes bâtir un système à 2 niveaux, national et établissement.
Mais pour cela, peut-on évoquer les difficultés de vie des étudiants sans sombrer dans la caricature ? L’OVE le fait et bien. Quant aux fantasmes sur les droits d’inscription, rappelons que 40% des étudiants d’université en sont exonérés tandis que la décision du Conseil constitutionnel évoque les droits d’inscription qui doivent être « modiques ».
Faire payer les riches est pourtant à la mode 🤭 ! En résumé, les bons sentiments cachent souvent des tartufferies et les indignations une impuissance à agir concrètement. Le résultat de ces ‘indignations’ depuis 30 ans ? Le maintien d’un système de saupoudrage des aides qui pénalise … les plus en difficulté ! Et ce leurre risque bien, en plus, d’occulter le nécessaire réinvestissement dans les universités et le fait que les jeunes et les familles les plus aisées reçoivent en moyenne 1,5 fois plus d’aide publique que les jeunes les moins aisés… Là est le vrai clivage.
Loi de programmation de la recherche dénigrée puis réclamée
La grande curiosité de la Loi recherche fut de chercher l’intrus ! Car de quoi parlait-t-on le plus en dehors des financements sur projet ? D’enseignement ! Or, la seule option qui n’a jamais été examinée, y compris et surtout dans les groupes de travail préparatoires, a été un statut unique, mettant fin à cette dichotomie, ou plutôt cette inégalité entre enseignant-chercheur et chercheur.
Le premier constat en 2024, c’est que tous ses opposants demandent désormais son application, face aux incertitudes budgétaires. C’est donc la preuve qu’il y avait bien de l’argent à la clé ! Un classique du dialogue à la française. Cependant, sa montée en puissance pourtant nécessaire se heurte à deux obstacles : bien sûr les incertitudes budgétaires actuelles mais aussi la montagne de difficultés des universités qui concentrent et fédèrent les forces de recherche, quelles qu’elles soient.
Même avec des montants non négligeables, je pointais les 2 écueils que sont le décrochage en cours de l’enseignement supérieur, et la grave crise de confiance entre le MESRI et les corps intermédiaires. D’autant que cette loi recherche fait face à l’”archipellisation” du monde académique sur fond de sentiment de déclassement et d’une relative dislocation des références culturelles communes. Que dire de ce que montre le bilan social de l’ESR avec le maquis des effectifs, des statuts et des primes ? Il faut donc saluer les efforts des différents ministres sur les régimes indemnitaires : mais que peuvent-ils de plus dans un contexte d’ignorance de la recherche ? Car les chercheurs/enseignants-chercheurs sont toujours les perdants du régime indemnitaire dans la fonction publique.
Et puis il y a la notion de compétition scientifique et des recrutements pour lesquels on balance entre compétition, hypocrisie et régulation, la compétition scientifique étant un peu pour les universitaires français ce que le sexe est aux puritains : y penser toujours, en parler jamais.
Enfin, comment ne pas évoquer cette Arlésienne’ de la simplification de la recherche ? Il ne s’agit pas de simples mesures ‘techniques’ à prendre pour la recherche : cela touche le cœur du système d’ESR dont les UMR sont le point d’aboutissement, avec 2 difficultés politiques majeures non résolues, entre universités et organismes, et au sein même des universités.
Une politique de l’innovation en échec
Au fond, la politique d’E. Macron depuis 2017 a d’abord misé sur les innovations d’usage (portées par tout l’univers des diplômés d’école de commerce, caricaturalement portées par le salon VivaTech) et qui bien (trop ?) tardivement s’est préoccupée de l’innovation de rupture en germe dans la recherche fondamentale, ce que traduit la faiblesse des entreprises françaises en matière de R&D.
Sa décision de ne pas toucher au CIR (dont il ne faudrait pas oublier l’explosion…sous F. Hollande), témoigne d’une incompréhension fondamentale de ce qu’est l’innovation, ce que J-P Bourguignon en 2019 ou plus récemment M. Draghi et J. Tirole et bien d’autres ont souligné : c’est une recherche puissante qui est la condition de l’innovation de rupture. J’ajouterai, pas la multiplication des dispositifs. Et puis, la Cour des comptes a dit tout haut ce que beaucoup d’acteurs de la recherche publique constatent tous les jours : la valorisation de la recherche est freinée par la faiblesse de la R&D privée. Car le capitalisme français, plus que tout autre dans les pays comparables, est organisé autout d’une logique de la rente et de services croisés liés aux Grands corps : le minitel plutôt qu’internet…
Lire le rapport Lewiner and C° sur l’innovation, c’est faire un voyage dans le système insensé de l’innovation “à la française”. C’est aussi en tirer 2 constats : la stratégie d’innovation française est un échec en particulier parce que Bercy et les investisseurs privés français ne comprennent pas l’innovation. Il est vrai que nous avons en France ce culte du plan que j’ai recherché dans la mémoire des plans gouvernementaux, la plupart du temps inopérants. Pendant que “Science is back” aux USA, la France fait elle de l’”innovation dirigée”… Au fond, la question posée est simple : 7Mds€ du crédit-impôt recherche : qui osera dire stop ?
Le décès de Claude Allègre
Je l’ai déjà écrit sur ce blog : Claude Allègre a été un visionnaire, avec entre autres le LMD et le processus de Bologne ou encore la loi sur l’innovation et la volonté de rapprocher Grandes écoles et universités. Mais je rappellerai son « coup de génie », entouré faut-il le souligner, d’une équipe de haut niveau, avec le plan U2000 : il a réussi à entraîner les régions, de gauche et de droite, dans le financement de ce plan et avec elles d’autres collectivités locales, par un effet d’entraînement vertueux. On le mesure d’autant mieux que la seul région qui refusa était l’Île de France, avec les conséquences catastrophiques en termes de retard qui se voient encore dans cette région.
Un souvenir marquant. Ses conférences de presse étaient de véritables ‘shows’, dans lesquelles la langue de bois était absente. Il se permettait tout d’un coup de partir sur l’inutilité des vols habités dans l’espace, face à des journalistes stupéfaits mais fascinés. A l’époque, en tout cas publiquement, il n’avait pas basculé dans le climato-scepticisme. C’est pourquoi je n’ai rien à ajouter au très bel hommage de Philippe Baptiste. : « les controverses ne peuvent nous faire oublier que son parcours, incarnation de la méritocratie républicaine, est un exemple de détermination et d’excellence. »
Cela me conduit également à rendre hommage à Alain Fuchs décédé en décembre, que j’ai connu en 2006 lorsqu’il prit la direction de Chimie ParisTech, et évidemment au CNRS et à PSL. Il avait des relations parfois rugueuses et je me rappelle d’une table ronde que j’animais avec le président de Régions de France de l’époque, Alain Rousset, et dans laquelle il s’était assez fortement énervé, et de façon peu diplomatique, sur les vélléités des régions de selon lui « régenter » la recherche. Je retiens surtout qu’il avait une vision pas si bien partagée que cela dans l’ESR français à propos de l’excellence et de la compétition internationale. Même si sa fin de mandat à PSL a été compliquée, il a, après Thierry Coulhon, consolidé cette nouvelle université, désormais incontestablement inscrite dans le paysage international.
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